Les trappes et les collets
Le mot « trappe » ne désigne nullement une ouverture pratiquée dans le plancher d’un vieux château fort destinée à précipiter de malheureux prisonniers dans les oubliettes dont ils ne sortiraient plus jamais.
Les trappes désignaient les pièges destinés à capturer certains gibiers, grives et coqs de bruyère en automne, martres, fouines, renards, lièvres en hiver.
Ces pièges consistaient en une pierre plate soutenue au dessus du sol sur l’une de ses arêtes par un système appelé 4 en chiffres et composé de deux morceaux de bois placés verticalement, s’encastrant l’un dans l’autre et reliés par un autre bout de lois (linguelle) qui placé horizontalement maintenait la pierre au dessus du sol mais qui laissait tomber celle-ci dès que l’extrémité de la « linguelle » touchée par le gibier déclenchait tout le système qui s’effondrait.
Ces pièges étaient placés, pour les grives, au dessus des forêts ou dans des clairières rocheuses garnies de myrtilles et autres baies, nourriture habituelle de ces oiseaux. Pour les autres gibiers, coqs de bruyère ou lièvres ils trouvaient leur place dans les forêts, sous d’épais pins cembros. Tandis que les martres, fouines ou renards se faisaient capturer à l’entrée des grottes ou sous des rochers en surplomb démunis de neige en hiver.
Les emplacements où se trouvaient les « trappes » étaient considérés comme la propriété de celui qui les exploitait et personne ne se serait avisé de placer des pièges là où un « trappeur » avait les siens, si bien qu’un propriétaire d’un tènement de montagne qui avait des « trappes » dans les environs de son chalet pouvait vendre celui-ci sans aliéner son droit à placer ses engins. Un exemple illustre ce droit de propriété : à la fin du XIXe siècle, le propriétaire d’un petit tènement de montagne à Montbas vendit celui-ci et sans que rien ne soit mentionné dans l’acte de vente il continua à exercer son droit sur les « trappes », droit qu’il vendit plus tard à une autre personne que celle qui avait acquit sa propriété.
La coutume et le droit de placer des « trappes » remontait aux temps les plus reculés et ce droit était, sinon officiellement reconnu, tout au moins toléré en vertu de l’adage que coutume fait loi. Mais il disparut peu à peu devant les pressions exercées l’interdiction de placer des pièges dits « 4 en chiffres ». Actuellement, il n’existe plus de « trappeur » à Bramans, ni dans les communes voisines.
Le métier de « trappeur » demandait beaucoup de soins, de ruses et de fatigues. Suivons, par la pensée, l’un de ceux-ci dans sa rude journée. Il ne fait pas encore jour quand notre homme se met en route, portant en bandoulière une gibecière garnie de grains de genièvre et de quelques engins destinés à remplacer ceux qui seraient perdus ou cassés. La journée ne sera pas sans fatigues. Il faudra parcourir, comme je l’ai fait, toute la zone s’étendant depuis le couloir du Grand Con jusqu’aux Effissoles. Que de montées, de descentes, de zigzags dans les buissons et les rochers ! Il faut visiter tous les pièges, ne pas oublier le gibier qui risquerait d’être dévoré par les renards ou les fouines et aussi approvisionner en grains de genièvre les pièges qui en sont démunis. Les abords de la « trappe » doivent être bien dégagés et pour les coqs de bruyères, un barrage construit au devant et derrière doit être entretenu avec soin, car il est destiné à empêcher les coqs de bruyères de passer de l’autre côté du barrage sans passer sous le piège où ils trouveront la mort.
En plus des fatigues occasionnées par ces longues marches le « trappeur » devait aussi connaître les ruses de chaque gibier et user d’imagination pour les déjouer. Barrages, camouflage, empierrements étaient nécessaires.
Une autre activité du « trappeur » consistait en la pose de collets pour la capture des lièvres et chamois. Si la pose des collets se faisait pour les lièvres, à la lisière ou dans les forêts, pour le chamois, il fallait s’élever au dessus de celles-ci et, en hiver, la visite de ces engins était extrêmement fatigante du fait de la neige, du gel et de la glace. Aussi, la pose des collets pour chamois n’était-elle pas à la portée de tout le monde du fait qu’elle demandait une robuste constitution et une énorme dépense d’efforts physiques.
Imaginons, en effet, ces hommes ayant capturé un chamois au col Clappier, dans la vallée d’Ambin, au fond d’Etaches ou au sommet de Montbas, charger leur prise sur leurs épaules et prendre la route de Bramans, bien souvent raquettes aux pieds avec leur charge d’un transport bien malaisé car la bête gelée dur comme fer n’était pas facile à tenir en équilibre sur les épaules.
Le métier de « trappeur » était-il rémunérateur ? La réponse est négative. Il faut considérer que ce n’était pas réellement une profession mais une activité secondaire permettant de se procurer quelque argent liquide par la vente du petit gibier tandis que la capture des chamois aux collets permettait de fournir la famille en viande pendant une partie de l’hiver.
Même si la pratique des « trappes » et des collets n’était pas interdite et sévèrement réprimée actuellement, qui disposerait encore de suffisamment de temps pour se livrer à cette activité peu lucrative et pleine de dangers ?